La seconde main : des usages qui changent...
La seconde main a le vent en poupe. Elle serait même amenée à supplanter la "fast-fashion" d’ici 2028. Les marques y voient une opportunité de créer du trafic en boutique, une façon de fidéliser leur clientèle ou d’attirer une clientèle plus jeune. Elles ont été nombreuses ces dernières années à se lancer sur ce créneau en ligne ou en boutique, comme Patagonia, Weston, Petit Bateau, Jules, Okkaïdi, Kiabi et même Auchan.
Les avantages sont nombreux notamment pour la planète : allongement de la durée de vie des vêtements, moindre production (responsable à plus de 70% de l’impact sur la planète (1)), lutte contre l’obsolescence programmée, transmission et authenticité du vintage, circularité orientée sur les usages plus que sur la possession, création d’emplois, réduction des achats impulsifs drivés par la communication de masse, singularisation des achats…
Côté consommateurs, c’est avant tout le prix, l’originalité des pièces et le renouvellement du dressing qui viennent en tête, même si les enjeux environnementaux deviennent de plus en plus importants à leurs yeux, et les déculpabilise. Et nous ne porterions que 30% de notre garde robe (2) ! De quoi assurer l’alimentation de ce marché en progression de 12% par an (3).
Nous sommes de plus en plus nombreux à nous laisser tenter par cette tendance, portée surtout par les millenials. Car la seconde main, même si elle a été pendant des siècles le principe, a été mise au rencart avec l’avènement de la société de consommation et le prêt-à-porter. Elle a refait surface dans les années 90, et surtout avec la crise de 2008.
Les usages changent, et les marques accompagnent cette tendance. C’est aussi une occasion pour elles d’anticiper l’application de la loi du 10 Février 2020 relative au gaspillage et à l’économie circulaire, (complétée par la circulaire du 29 Juillet 2020 sur la gestion des déchets), qui devrait venir bousculer leurs habitudes de production et de gestion de fin de vie des produits, en pointant leur responsabilité environnementale et en venant encourager l’éco-conception.
.... Usages qui ne riment pas toujours avec bonnes pratiques et respect de la planète
En effet, la seconde main, même si elle permet d’allonger théoriquement la durée d’utilisation des vêtements en les faisant circuler de mains en mains, ne peut malheureusement pas garantir cette extension de la durée de vie, sans la qualité de base des vêtements, et les bonnes pratiques d’entretien et de réparation. Autrement dit, la seconde main peut-être tout à la fois l’indicateur de bonne qualité des produits qui passent le temps, comme le triste aboutissement de la nécessité de se débarrasser d’un vêtement qui a perdu sa forme, qui est mal ajusté, qui bouloche, ou qui s’est usé prématurément en dehors d’un usage intensif. Et, sur les sites qui fleurissent pour soutenir cette mode de la seconde main, rien n’est plus difficile que de toucher la qualité des produits. Sur certains sites, alimentés en primauté par les consommateurs, exit la composition et l’entretien.
“C’est peu cher, c’est pas grave, on pourra toujours revendre”. Et la boucle de la fuite en avant est bouclée.
"Le luxe, c'est ce qui se répare »
Robert Dumas, président d'Hermès de 1951 à 1978.
Allonger la durée de vie des vêtements, pour respecter la planète
Pour participer à l’allongement de la durée de vie des vêtements, quelques bonnes pratiques sont donc importantes, afin de ne pas faire de la seconde main une succursale de la surconsommation, dont l’industrie de la mode est devenue l’emblème. N’oublions pas qu’avec 1, 2 milliard de tonnes de gaz à effet de serre par an, soit 2 % des émissions globales de gaz à effet de serre, l’industrie de la mode est l’une des industries les plus polluantes au monde, avec un impact plus important que le trafic aérien et maritime réunis.
En cause, principalement, la "fast-fashion" et les fibres synthétiques qui sont très consommatrices d’eau, et génératrice de GES dans la phase de production (plus 70% des impacts en moyenne lors de la phase de production), et qui sont pas ou peu réparables, très fragiles à l’entretien, difficilement recyclables, et qui peuvent mettre jusqu’à 10 000 ans pour se décomposer. Pis, elles seraient l’une des principales sources de pollution marine, via les microplastiques synthétiques générés lors des lavages successifs. Aujourd’hui 70% des fibres synthétiques dans la mode sont issues du pétrole. Le reste utilise de la cellulose (bambou, eucalyptus, hêtre…) comme la viscose, ou le lyocell qui est beaucoup moins consommateur d’eau et moins polluant dans l’ensemble. Mais la production de bois qui permet la production de ces fibres synthétiques impact grandement la biodiversité en favorisant des monocultures qui épuisent les sols en ne puisant que certaines nutriments, et encourage la déforestation dans les pays producteurs. Elles sont également très énergivores et utilisent de nombreux produits chimiques qui sont rejetés dans les airs et les eaux usées. A noter quand même, le lyocell est biodégradable.
Matières durables
La première bonne pratique consiste donc à privilégier des matières durables comme les fibres naturelles et bio, même si certaines sont très consommatrice d’eau comme le coton, et produites localement, ou les matières recyclées. On s’y retrouve cependant car le coton est résistant avec ses fibres longues, recyclable et donc réutilisable pour de nouvelles productions (à condition qu’il n’ait pas été mélangé à d’autres fibres synthétiques, d’où la nécessité de regarder attentivement les étiquettes et de les conserver) se répare facilement, et est compostable en fin de vie, mais il est surtout cultivé dans des pays lointains comme l’Inde, la Chine ou le Pakistan. Le lin ou le chanvre sont beaucoup moins gourmands en eau, et cocorico, la France est le premier producteur mondial de lin. Les labels éco-responsables, comme les labels GOTS, Equitable Ecocert, Demeter ou Biore peuvent vous aider à faire votre choix, y compris parmi les produits de seconde main online.
Pour en savoir plus sur les labels et le choix des matières, on vous recommande le guide des étiquettes Slow We Are.
Entretien et stockage
L’entretien (lavage, stockage, réparations) est également une façon d’allonger la durée de vie, et peut également valoriser des pièces qui pourront être revendues en seconde main, si elles ont été soignées et respectées.
Côté lavage, on fera attention à ne pas couper les étiquettes précieuses pour savoir comment prendre soin de nos vêtements favoris. En premier lieu, le respect des températures est indispensable, aussi bien pour moins consommer d’énergie que pour ne pas risquer d’endommager des fibres parfois délicates, et le choix d’un détergent respectueux de l'environnement (en réduisant les quantités utilisées, notre linge est généralement peu sale). Mais, faire une machine à 90° par mois (avec du linge blanc et un peu de percarbonate de soude) pour éviter l’encrassement de la machine participe aussi à éliminer les bactéries résiduelles. Plus d’infos sur https://www.lavermonlinge.com
Les mites affectionnant particulièrement la tranquillité, c’est la régulière utilisation des vêtements qui sera la plus à même de prévenir leur installation. Comme nous n’utilisons en moyenne que 30% de notre garde robe (2), c’est en réduisant notre dressing et en portant régulièrement ce que nous avons que nous serons le plus à même de prévenir l’installation de ces nuisibles. Vérifier également que les endroits de stockage soient bien à l’abri de l’humidité pour ne pas risquer de développer des bactéries responsables des mauvaises odeurs tenaces notamment.
Réparation
Ce qu’on ignore souvent, c’est qu’une grande partie des vêtements qui pourraient alimenter la seconde main de qualité est tout simplement écartée de la valorisation, à cause de trous de mites, d’accrocs, de boutons non remplacés, ou d’ourlets décousus. Il est donc important de veiller à faire des petits travaux de réparations avant d’envoyer ses vêtements dans les points de collecte notamment (sur les sites de revente entre consommateurs, c’est tout simplement rédhibitoire). Et pourtant, rien de plus facile que de recoudre un bouton, un ourlet, ou de réaliser un "visible mending " sur son pull préféré (cf. article déjà publié sur notre blog), en mobilisant des connaissances souvent plus oubliées qu’inconnues, grâce à des tutos ou des ateliers (5).
Dans le circuit des points de collecte français, c’est seulement l’équivalent de moins d' 1% du total des pièces TLC commercialisées en France chaque année qui servent à alimenter le circuit de seconde main français, en 2018 (6). Et encore, il s’agit aussi de pièces vintage, de plus de 20 ans, particulièrement prisées par les chineuses. C’est donc bien la crème de la crème de ce qui est déposé dans les centres de tri qui alimente réellement le circuit de la seconde main en France, sans qu’il n’y ait de réelle visibilité sur le type de produits réinjectés (matières, âge du vêtement, design…).
Selon Re-Fashion, la collecte, en France, représente 248 547 T en 2019 (sur les 648 000 mises en marché). Après le tri, 196 054 T de TLC sont valorisés en 2019, dont 57,8% destinés à la réutilisation et 33,5% au recyclage (effilochage, chiffons), 7,6% servent de combustible solide de récupération, et 0,6% sont éliminés. Ainsi, en terme d’ordre de grandeur, les TLC collectés représente l’équivalent de 38,1% de la masse des produits mis en marché chaque année, quand le nombre de produits qui alimente le circuit de seconde main représente l’équivalent de 17%.
Ce qu’on sait moins, quand on amène ses vêtements au centre de tri ou en point de collecte (+ de 46 000 points de collecte en France), c’est qu’uniquement 5% des 58,7% des vêtements triés destinés à la réutilisation dans ces centres de tri, sont effectivement réinjectés dans le circuit de seconde main Français, le reste partant dans les circuits de seconde main à l’étranger sans visibilité sur le devenir de ces pièces. Les 95% restant sont revendus à l’étranger, selon Re-Fashion. (voir infographie)
En bref...
La seconde main est en plein essor, permet plus de circularité, et répond aussi à l’envie de changer et de renouveler sa garde robe. C’est d’ailleurs ce que le swap et l’échange permettent, avec des initiatives très intéressantes comme Greendy Pact ou Swap Chic.
Mais, gardons à l’esprit que cela concerne une part toujours marginale des quantités produites, et que pour que les pièces restent dans le circuit de la seconde main en France, et ne finissent pas dans des décharges à l’autre bout du monde, le choix des produits, les bonnes pratiques d’entretien et de réparation restent, côté consommateur, les gestes les plus sûrs pour réduire l’impact social et environnemental du textile.
Repères et bonnes pratiques
notes et références
(1) Fashion on climate
(2) Fashion Green Hub
(3) ThredUP
(4) *ADEME, Le revers de mon look, 02/03/18
(6) Rapport 2019 ECO-TLC - Re-Fashion
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